LE PLUS IMPORTANT, C'EST LA VIE

C'était comme ça: un Juif sortait du ghetto, il y avait une foule de gens, et dans la foule deux maîtres chanteurs. Ils n'étaient que deux, et ces deux-la seulement faisaient ce qu'ils faisaient. Les autres se détournaient.

15.12.2010

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Ce texte a paru dans "TP" n° 29/95; Marek Edelman a fait cette intervention lors du colloque "Mémoire juive, mémoire polonaise", organisé en juin 1995 par l'Institut français a Cracovie.

La mémoire polono-juive... Il n'y a pas une mémoire juive unique. La mémoire d'un policier juif qui a conduit sa femme au train est différente de la mémoire du policier juif qui a maintenu sa femme et son enfant en vie. La mémoire de l'enfant qu'on cachait dans un couvent est différente de la mémoire de la dame qui a tranquillement survécu du côté dit "aryen". Et la mémoire de ceux qu'on faisait quotidiennement chanter est encore différente de la mémoire de ceux qui combattaient, ou de la mémoire de ceux qui avaient fui et qui se cachaient a la campagne. Les relations de ces gens avec le passé sont différentes.

Il n'y a donc pas de schéma homogene, national, montrant les rapports des Juifs avec les Polonais. Et c'est la meme chose de la part des Polonais. Le rapport de monsieur Karski n'est pas celui de monsieur Bartoszewski. Le rapport de ceux qui ont caché des Juifs n'est pas le meme. Pas le meme le rapport de la mere qui a perdu un fils parce qu'il s'était approché du mur du ghetto. Pas le meme le rapport de ceux qui étaient dans l'Insurrection de Varsovie et le rapport de ceux qui n'y étaient pas. Pas le meme le rapport de ces camarades qui étaient dans les détachements de l'AK, l'Armée de l'Intérieur, avec des camarades juifs du lycée et le rapport de ceux qui n'y étaient pas. Pas le meme le rapport de ces Polonais qui lisaient la presse de gauche et de ceux qui lisaient la presse de droite. De meme dans les spheres culturelles. Pas le meme, le rapport de Gajcy; autre, le rapport de Borowski, etc.

Par conséquent, ne parlons pas de schéma. Et ne parlons pas de ce qu'est la mémoire au sein de la nation. Et en général ne parlons pas de mémoire nationale, car si nous parlons de mémoire nationale alors il faut parler de la mémoire croate, de la mémoire serbe, de la mémoire cambodgienne, de la mémoire du Biafra. Ce sont des choses qui menent au mal et non au bien. Surtout dans les régimes totalitaires. Il faut avant tout se souvenir d'une chose: de ce qu'a été l'Holocauste. Il est faux de dire que c'était une question uniquement juive. Il est faux de dire que c'était seulement l'affaire de ces quelques maîtres chanteurs. Ou de quelques dizaines. Ou de quelques centaines. Il est faux de dire que c'était l'affaire de cent ou deux cents Allemands personnellement impliqués dans ces meurtres. Non, c'était l'affaire de l'Europe, et l'affaire de la civilisation européenne qui a créé les usines de la mort. L'Holocauste est un désastre de la civilisation. Et malheureusement ce désastre n'a pas pris fin en 1945. Il faut s'en souvenir. Et tout le monde doit s'en souvenir. La question de la mémoire est une question de politique. La politique façonne la mémoire de la société, la mémoire du groupe, et peu importe s'il s'agit ici d'un groupe professionnel ou d'un groupe national. C'est la politique qui façonne tout. La politique des États totalitaires façonne une mémoire bien plus forte. La propagande hitlérienne était excellente, elle a façonné la mémoire du meurtre, car Goebbels était un propagandiste génial. Et cela nous obsede encore aujourd'hui.

Mais que se passe-t-il aujourd'hui dans l'Europe civilisée? Aujourd'hui? Tout cela, ce sont des éclaboussures du nazisme. Que sont les Brigades Rouges ou les brigades noires? Que veut dire cela: cinq mille personnes intoxiquées dans le métro de Tokyo? C'est le mépris de la vie humaine, et ce changement, justement, c'est l'Holocauste qui l'a introduit dans notre conscient. Pourtant, voici plus de deux cents ans, Jefferson a inscrit dans la Constitution des États-Unis que le plus important c'est la vie humaine. Il est donc sans importance que vous racontiez ici pourquoi et comment ils ont survécu, si un Polonais a caché un Juif ou ne l'a pas caché, si un Français a caché un Juif ou ne l'a pas caché. Ce qui est important c'est que le crime a été commis sous leurs yeux, aux yeux de tous. Car il est faux de dire que les Allemands ne savaient pas, il est faux de dire que lorsque, en France, sur cent mille Juifs déportés il n'en est revenu que trois mille, les Français ne savaient pas ou était passé le reste. Nous sommes toujours enclins a détourner la tete de ce qui est désagréable. C'était comme ça: un Juif sortait du ghetto, il y avait une foule de gens et dans la foule deux maîtres chanteurs. Ils n'étaient que deux, et ces deux-la seulement faisaient ce qu'ils faisaient. Les autres détournaient la tete et ne voulaient pas voir ça. Parce que c'est quelque chose de tres pénible. Mais ils étaient tout de meme témoins. Et le témoin passif devient complice. Dans les situations extremes la passivité est un délit. Dans les situations extremes, meme la peur n'est pas une excuse, mais la passivité devient réellement un délit. Pendant la guerre le monde entier est resté passif. Et pas seulement le monde européen. La Grande-Bretagne est restée passive, passive l'Amérique - bien qu'elle n'avait rien a craindre. Roosevelt a reconnu l'Holocauste comme un tribut payé par les Juifs a la guerre. Le meme que par les Français ou les Russes. Il a dit que des que la guerre cesserait on arreterait de massacrer les Juifs. Et pourtant, ce n'était pas la meme chose. Ces usines de la mort dans lesquelles on assassinait en masse ont introduit le mépris de la vie humaine. Et ce mépris se prolonge de nos jours. Les meilleurs étudiants de l'université française ont fait le Cambodge. De meme au Rwanda. Cette fois, heureusement, la France s'est opposée aux meurtres et a envoyé l'armée pour défendre un demi-million de personnes au Rwanda. C'était la premiere fois que cela se produisait. Il faut se rappeler que le premier péché de renonciation a été l'occupation du Bassin de la Sarre par Hitler. Ce fut le début de la faiblesse, de la peur face au fascisme, de la peur du pouvoir fort. Si nous ne combattons pas cette peur en nous-memes aujourd'hui, alors nous allons avoir affaire au terrorisme, au génocide. Il faut s'en souvenir.

Mais qui peut faire cela? Au cours de ce dernier demi-siecle, a plusieurs reprises déja la jeunesse a montré qu'elle y parvenait. Elle l'a montré en Amérique, contribuant a la fin de la guerre au Vietnam, elle l'a montré en France en 1968 en modifiant le mode de vie, de meme elle l'a montré en Allemagne. Depuis cette révolte de la jeunesse, quelque chose a changé. En France, récemment, la jeunesse a contraint un ministre a démissionner. C'est donc une force, parce que nous sommes déja, nous, une génération perdue. Seulement il faut de nouveau enseigner a la jeunesse, aujourd'hui, que la premiere chose, et la plus importante, c'est la vie. Et qu'ensuite, seulement, vient le confort.

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Artykuł pochodzi z numeru TP 13/2010

Artykuł pochodzi z dodatku „Żydownik Powszechny (Francais)