VOISINS, FRERES...

Nous devrions etre, et nous le voulons, les gardiens de la mémoire du monde juif qui a existé pendant des siecles dans nos villes, nos bourgades et nos campagnes natales. Nous sommes conscients du devoir de porter le deuil éternel de nos voisins juifs assassinés, dont le sang innocent a imprégné notre terre. Mais par-dessus tout nous voulons nous souvenir de l'Extermination de nos sours et de nos freres juifs afin de penser avec respect aux Juifs qui vivent aujourd'hui. La voix des victimes de l 'Extermination nous rappelle avant tout qu'en dépit des différences nous sommes freres et sours.

15.12.2010

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Sąsiedzi, bracia /
Sąsiedzi, bracia /

Le texte du card. Stanislaw Dziwisz a paru dans "TP" n° 11/09. L'archeveque métropolitain de Cracovie l'a prononcé le 6 mars 2009 pendant la conférence "Dialogue catholiques-Juifs : la route avec nous, la route devant nous", organisée a l'École supérieure de philosophie et de pédagogie "Ignatianum" pour le 5e anniversaire de la mort du P. Stanisław Musiał (y ont également participé, entre autres, le rabbin David Rosen qui préside le Comité international juif pour les contacts interreligieux; le grand rabbin de Pologne Michael Schudrich; le P. et professeur Tomáš Halík, président de l'Académie chrétienne tcheque; le P. professeur John Pawlikowski, président du Conseil international des chrétiens et des Juifs). Dans le cadre de la conférence eut également lieu la cérémonie de remise de la premiere édition du Prix du P. Stanisław Musiał décerné pour l'année 2008; ses lauréats furent le professeur Jan Błoński (a titre posthume) ainsi que la ville et le Conseil municipal de Chmielnik. En tant qu'archeveque métropolitain de Cracovie, le cardinal Dziwisz prit a plusieurs reprises la parole sur des questions touchant au dialogue polono-juif et chrétiens-Juifs - la derniere fois, quelques jours avant le bouclage de cette édition de "TP", pour transmettre l'expression de sa solidarité et de sa douleur au président de la Communauté confessionnelle juive de Cracovie, Tadeusz Jakubowicz, a la nouvelle de la profanation du monument a la mémoire des Juifs exterminés a Płaszów (sur l'obélisque, des inconnus avaient tracé, entre autres, a la peinture rouge, des svastikas et les slogans "Jude raus", "Hitler good"). "Au nom de l'Église de Cracovie j'exprime mon indignation et ma condamnation de cet acte de vandalisme dirigé contre la communauté de confession juive qui entretient la légitime mémoire de ceux qui ont été bestialement assassinés par les nazis. Cette mémoire, les chrétiens, et l'Église de Cracovie avec eux, la respectent et la soutiennent", écrivait le cardinal.

Nous sommes enfants d'un seul Pere

Monsieur le rabbin, Mesdames et Messieurs, chers Freres et Sours!

J'ai accepté avec une grande joie l'invitation a intervenir a cette conférence qui, de divers points du monde, a conduit a Cracovie tant de personnes engagées dans un dialogue qui, depuis l'époque du Concile Vatican II, a tellement modifié le rapport réciproque des chrétiens et des Juifs.

Je me présente ici pour vous remercier de votre marche courageuse et persévérante sur la voie difficile du dialogue. Je tiens également a vous assurer combien est aussi la mienne votre soif de voir les relations entre chrétiens et Juifs s'améliorer toujours, ainsi qu'il convient aux enfants d'un seul Pere, Dieu d'Abraham, l'Isaac et de Jacob.

Splendeurs d'une histoire commune

Je me présente ici en tant qu'éveque de Cracovie, ville particuliere: ville de rois et de poetes-prophetes, ville de doctes rabbins et de saints catholiques, la ville de Copernic et de Jean Paul II. Ce n'est pas un hasard si un pape polonais, le pape de Cracovie, a tant fait pour le rapprochement et la réconciliation des chrétiens et des Juifs. Il a muri cette mission ici.

Ici se melent les fils les plus importants de l'histoire presque millénaire des Juifs polonais. La terre cracovienne a été le lieu de nombre de ces événements dont les Juifs comme les Polonais peuvent se souvenir avec fierté. Mais elle a été aussi le témoin muet des moments les plus tragiques de l'histoire du peuple juif et de l'histoire de l'humanité, qui suscitent encore aujourd'hui dans nos cours l'épouvante, la douleur et la honte.

Cracovie est, d'un côté, la ville du roi Casimir le Grand qui, aux temps ou d'autres monarques d'Europe condamnaient les Juifs a l'exil, leur ouvrit grand les frontieres du Royaume de Pologne. C'est a son instigation et a l'instigation des Jagiellons qui ont régné au Wawel pendant les deux siecles suivants, que la pluriculturelle et tolérante Pologne devint une sorte de patrie pour les Juifs dispersés.

A peine quelques générations plus tard, la ville fondée par le roi Casimir - la Kazimierz cracovienne - devint, a coté de la Prague tcheque, le centre religieux et culturel de la diaspora juive. C'est dans la Kazimierz cracovienne qu'est né, a ouvré et est mort l'un des plus grands rabbins juifs, recteur de la yechivah de Cracovie, célebre dans toute l'Europe, Moise ben Israël Isserles, dit ReMA.

Le XVIe siecle, qui fut le témoin du plus grand épanouissement de la Kazimierz cracovienne et d'autres centres de la vie juive en Pologne, est défini aussi bien dans l'historiographie juive que polonaise comme le Siecle d'Or. Le qualificatif de "paradis juif" (Paradis Judeorum) est né de son atmosphere de tolérance religieuse, exceptionnelle a cette époque.

Assurément aucun pays, la Pologne non plus, n'était alors un "paradis" pour les Juifs, car les Juifs sont partout restés le "peuple de l'exil", pas tout a fait chez eux, regardant avec nostalgie en direction de Jérusalem. Toutefois, en Pologne, jusqu'au moment de la chute de la République souveraine, la communauté juive a joui de la liberté des pratiques religieuses et d'une autonomie politique qu'on ne rencontrait pas dans les autres pays, dont le symbole était le Parlement juif.

Cette belle page de l'histoire des Juifs polonais nous, Polonais, nous nous la rappelons avec fierté et nous désirerions qu'elle fut seule et unique. Hélas, les pages suivantes de cette histoire ont été écrites avec des couleurs de plus en  plus sombres.

La tradition jagiellonienne du caractere polonais

La fin de la Pologne libre a signifié le début des tensions sur fond de nationalité, provoquées sciemment et de diverses manieres tout au long du XIXe siecle par les envahisseurs. Les Polonais eux-memes cesserent d'etre maîtres de leur destin et se trouverent confrontés a la menace réelle de perdre leur identité nationale. Dans ces conditions difficiles le sens large et pluriculturel du caractere polonais, dont les Polonais étaient auparavant si fiers, fut progressivement remplacé par un sentiment d'identité étroitement ethnique contribuant a soutenir le peuple conquis dans le combat pour sa libération.

Cependant, la tradition jagiellonienne du caractere polonais, favorable aux gens d'une autre foi et d'une autre origine, était toujours vivante. Et c'est cette tradition qui a façonné la pensée de Jean Paul II, ce dont il a témoigné dans son livre "Mémoire et identité" publié la derniere année de sa vie. Évoquant les années trente, juste avant qu'éclate la Deuxieme Guerre mondiale, il a écrit: "La présence des Juifs aussi a été un facteur ethnique d'une importance extreme en Pologne. Je me souviens qu'un tiers au moins de mes condisciples a l'école publique de Wadowice étaient des Juifs. Au college ils étaient un peu moins nombreux. Je me liai d'amitié avec certains. Mais ce qui chez certains d'entre eux me frappa, c'est leur patriotisme polonais. Ainsi donc, au fond, le caractere polonais c'est la multiplicité et le pluralisme et non l'étroitesse et le repli sur soi. Il semble pourtant que cette dimension "jagiellonienne" du caractere polonais que j'ai mentionnée a cessé d'etre, hélas, a notre époque, quelque chose d'évident" (p. 92).

Dix ans plus tôt, dans son livre "Entrez dans l'espérance", Jean Paul II constate: "A travers les siecles de son histoire millénaire la Pologne a été un État de nombreuses nations et de nombreuses confessions chrétiennes, mais pas seulement chrétiennes. Cette tradition a fait, et fait sans doute encore, que la véritable mentalité des Polonais est plutôt la tolérance et l'ouverture aux gens qui pensent autrement, qui parlent d'autres langues et qui croient aussi autrement et prient autrement, qui pratiquent autrement ces memes mysteres de la foi" (p. 116).

Aujourd'hui que la Pologne a recouvré son entiere liberté et peut a nouveau façonner elle-meme son destin, nous avons le sentiment de la justesse et de l'actualité de cette vision du caractere polonais dont parle le Saint-Pere. Le caractere polonais qui ne réagit pas a la multiplicité et au pluralisme par la peur et l'agression mais qui, se référant a l'humanisme chrétien affirmant les "droits de l'homme" sans aucune restriction, apprécie la richesse de la diversité et aspire toujours a résoudre les conflits par la voie du dialogue, recherchant le bien commun. Pareille vision ouverte et généreuse du caractere polonais permet non seulement de faire de la Pologne un pays dans lequel les Juifs polonais se sentent pleinement chez eux, mais rend également possible la présentation de l'histoire des Juifs polonais comme une part intégrante de l'histoire de la Pologne que les Juifs, pendant des siecles, ont contribué a créer. Cette histoire jagiellonienne de la vie sociale, tellement polonaise dans ses racines, reste en harmonie avec la nouvelle compréhension des relations entre l'Église et l'État que nous trouvons dans la Constitution conciliaire sur l'Église dans le monde contemporain "Gaudium et Spes". Comme on le sait, l'archeveque Karol Wojtyła fut tres engagé dans la rédaction de cette constitution. Cette vision jagiellonienne est aujourd'hui tres nécessaire a la Pologne, a l'Europe et au monde entier que menace a nouveau, en cette période de crise croissante, le repli sur soi dans les égoismes nationaux.

Immensité du non-droit

Cet égoisme national poussé a l'extreme sous la forme du national-socialisme allemand a écrit la page la plus noire de l'histoire juive, conduisant a une tentative d'extermination du peuple juif tout entier, a son élimination de la surface de la terre.

Le jeune Karol Wojtyła était alors un travailleur forcé dans Cracovie occupée par les Allemands, éloigné de quelques dizaines de kilometres a peine du plus effrayant lieu de châtiment construit de la main de l'homme, le "camp de la mort" d'Auschwitz-Birkenau.

Hitler avait désigné la terre polonaise comme champ de son génocide. Cette terre que, pour le meilleur et pour le pire, nous avons habitée en commun pendant pres de mille ans, est devenue de par la volonté des nazis allemands une tombe pour des millions de Juifs.

En 1990, juste apres l'effondrement du communisme, Jean Paul II nous a rappelé cette perte irrévocable sur laquelle les manuels scolaires dans le bloc communiste se sont tus pendant un demi-siecle. Il l'a fait, a ce moment-la justement, comme s'il voulait nous rappeler que c'est un sujet auquel nous devons revenir dans la Pologne libre. Ainsi, il a dit: "Ce peuple [juif] a vécu avec nous pendant des générations, coude a coude, sur cette meme terre qui est devenue comme la nouvelle patrie de sa dispersion. On a infligé a ce peuple une horrible mort de ses fils et de ses filles par millions. D'abord on les a marqués d'un sceau particulier. Ensuite on les a précipités au ghetto dans des quartiers isolés. Ensuite on les a transférés vers des chambres a gaz, leur donnant la mort pour la seule raison qu'ils étaient fils et filles de ce peuple. Les assassins ont fait cela sur notre terre - peut-etre afin de la profaner. Mais on ne peut profaner une terre par la mort de victimes innocentes. Avec une mort pareille la terre devient une sainte relique. Ce peuple qui a vécu avec nous pendant de nombreuses générations est resté avec nous apres cette horrible mort de millions de ses fils et de ses filles. Nous attendons ensemble le jour du Jugement Dernier et de la Résurrection" (26.IX.1990).

La tentative d'extermination de tout un peuple était une entreprise si barbare qu'informés par des courriers polonais, les dirigeants des pays alliés, et meme les dirigeants de la diaspora juive en Amérique, longtemps ne purent croire a sa réalité. Jean-Paul II rappelle ainsi cette horrible époque d'effondrement moral de l'espece humaine au cours de laquelle s'est façonnée sa sensibilité a l'indéfectible dignité de chaque homme, indépendamment de son origine ou de sa vision du monde: "Il m'a été donné de faire personnellement l'expérience de l' "idéologie du mal". C'est quelque chose qui ne se laisse pas effacer de la mémoire. D'abord le nazisme. Ce qu'on voyait en ces années-la était affreux. Pourtant a cette époque-la il y a bien des dimensions du nazisme qu'on ne voyait pas. Nous ne connaissions pas tous la dimension effective du mal qui traversait l'Europe, meme ceux d'entre nous qui vivaient en son cour meme. Nous vivions plongés dans quelque grande "éruption" du mal et ce n'est que progressivement que nous avons commencé a nous rendre compte de ses dimensions effectives" ("Mémoire et identité", p. 22).

Gardiens de la mémoire

Mais aujourd'hui nous connaissons toute la dimension de l'abîme du mal qui s'opérait alors. Aujourd'hui, cette tragédie du peuple juif personne n'a le droit de la réduire.

C'est pourquoi joignons-nous en totale solidarité au Saint-Pere Benoît XVI qui, récemment, en présence des représentants des organisations juives, priait pour que "la mémoire de ce crime effroyable renforce la détermination a panser les plaies qui ont trop longtemps souillé les relations entre chrétiens et Juifs" (26.II.2009).

Comme fils et filles de la terre polonaise nous avons conscience que cet appel du Pape au souvenir s'adresse a nous de façon particuliere.

Nous devrions etre, et nous le voulons, les gardiens de la mémoire du monde juif assassiné par les nazis allemands, qui a existé pendant des siecles dans nos villes, nos bourgades et nos campagnes natales. Nous sommes conscients du devoir qui repose sur nous de porter le deuil éternel de nos voisins juifs assassinés, dont le sang innocent a imprégné notre terre. Nous devons accorder le respect qui leur est du aux cimetieres juifs, aux synagogues et aux maisons de priere, souvent laissés en ruines par la guerre. Mais par-dessus tout nous voulons nous souvenir de l'extermination de nos sours et de nos freres juifs afin de penser avec respect aux Juifs qui vivent aujourd'hui. La voix des victimes de l'Extermination nous rappelle avant tout qu'en dépit des différences nous sommes freres et sours. Nous désirons faire pénétrer aujourd'hui dans nos consciences cette voix des victimes innocentes qui nous rappelle que nous sommes mutuellement responsables les uns des autres, qu'en tant que personnes nous sommes respsonsables du sort de notre frere et de notre voisin.

Nous voulons nous souvenir de l'Extermination afin d'édifier aujourd'hui des relations fraternelles entre chrétiens et Juifs. C'est pourquoi je souscris aujourd'hui aux termes de la lettre des éveques polonais du 30 novembre 1990, rédigée pour le 25e anniversaire de la déclaration conciliaire "Nostra aetate" qui a ouvert une nouvelle époque dans les relations entre l'Église et le peuple juif. Dans cette lettre nous lisons: "Cette meme terre qui a été pendant des siecles la patrie commune des Polonais et des Juifs, le sang versé en commun, l'océan de souffrances monstrueuses et d'outrages subis devraient non pas nous diviser mais nous unir. Les lieux de supplice et, dans bien des cas, les tombes communes appellent tout particulierement a cette vie commune."

Dans cette lettre mémorable et qui n'a rien perdu de son actualité les éveques polonais expriment leur douleur, suscitée par la conscience qu'ils ont du fait que si beaucoup de Polonais ont sauvé des Juifs a l'heure de l'Extermination et si des centaines ou peut-etre des milliers d'entre eux ont payé de leur propre vie leur aide aux Juifs, il y en eut aussi qui resterent indifférents a cette insondable tragédie. "Nous éprouvons une douleur particulierement vive - écrivent les éveques polonais - pour ceux qui, parmi les catholiques, de quelque maniere que ce soit, ont contribué a la mort de Juifs. Ils resteront a jamais un remords également a l'échelle de la société. N'y aurait-il eu qu'un seul chrétien en mesure de le faire a ne pas tendre une main secourable a un Juif a l'heure de la menace ou a contribuer a sa mort, cela nous commande d'implorer le pardon de nos sours et de nos freres juifs."

Les éveques polonais expriment aussi dans cette lettre leur "sincere compassion pour tous les actes d'antisémitisme qui ont été commis ou que ce soit ou par qui que ce soit sur la terre polonaise".

Dialogue au nom de l'amour

Au centre de la vision biblique de la vie religieuse commune aux Juifs et aux chrétiens se trouve le rejet du mal et le choix du bien, le repentir et la pénitence. Pour le chrétien, l'examen de conscience, la révélation de sa nature peccable, s'écarter du mauvais chemin, changer de disposition d'esprit a l'égard d'autrui, c'est une expérience joyeuse, une expérience libératrice. C'est pourquoi le chrétien n'a nulle raison de fuir la vérité, fut-elle la plus triste, concernant le fait qu'il a suivi une mauvaise voie dans le passé, contraire a la volonté de Dieu. Dans cet esprit, pendant le Grand Jubilé de l'An 2000, Jean Paul II a incité l'Église toute entiere a un courageux aveu de ses fautes et a ouvrir aussi un nouveau chapitre dans les relations de l'Église avec ses freres et sours juifs.

Aujourd'hui l'Église, l'Église de Pologne aussi, aspire a suivre cet exemple de Jean Paul II et a dévoiler courageusement et a rejeter tout ce qui rend notre vie contraire a l'Évangile. A la question quelquefois posée: a quoi bon pour les catholiques polonais un dialogue catholiques-Juifs dans un pays ou vivent aujourd'hui si peu de Juifs? la réponse est simple: notre rapport aux gens d'une autre foi et d'une autre origine constitue la mesure de la qualité de notre christianisme. Le christianisme contaminé par la haine et le mépris a l'égard d'autrui est un christianisme infirme. Nous avons été appelés par Dieu a établir des ponts et a créer dans le monde une atmosphere de communion, non a créer des divisions et a susciter la haine.

Le pape Paul VI a dit que "le dialogue est l'autre nom de l'amour". Cest pourquoi s'adresser a autrui dans un esprit de dialogue et non d'hostilité ou de méfiance est tout simplement la mise en pratique de l'amour du prochain. Or l'amour du prochain c'est le cour meme du christianisme. La ou est la haine ou le mépris de l'autre, la ou il n'y a pas l'amour du prochain et la ou n'est pas l'amour n'est pas le christianisme.

Nous, chrétiens, nous ne pouvons oublier la dimension radicale de l'enseignement de Jésus-Christ sur l'amour du prochain. Le Christ rejette la pratique qui consiste a se limiter exclusivement a l'amour des "siens". "Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, que faites-vous d'extraordinaire? Les paiens aussi n'agissent-ils pas de meme?" (voir Mat. 5, 46). Le Christ donne comme exemple de l'amour évangélique le Samaritain qui se penche sur le Juif blessé par des brigands, auquel ne l'attachaient ni une foi commune ni une commune origine.

Le christianisme dénué de l'amour du prochain perd sa force et est menacé de devenir comme le sel éventé qui, perdant son gout, cesse d'etre utile. Le Christianisme sans l'amour du prochain, indifférent aux blessures douloureuses, aux accusations et aux généralisations parfois sans fondement ou bien exagérées, cesse d'etre lui-meme, cesse de faire voir Jésus dont l'unique réponse a sa propre souffrance était la priere: "Pere, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font" (Luc 23,34).

Freres retrouvés

A notre époque ou l'authenticité des attitudes et des convictions est particulierement prisée, nous désirons etre fideles a l'appel du Christ a une attitude magnanime a l'égard de tous nos prochains, indépendamment de leur origine ou de leur foi. C'est aussi pourquoi nous remarquons avec honte que, malgré des enseignements aussi dénués d'équivoque que ceux des derniers papes concernant l'attitude juste des catholiques a l'égard des Juifs, il en est encore parmi nous qui ne sont pas parvenus a vaincre en eux les préjugés, les vieilles rancours et les stéréotypes néfastes.

Soucieux de la plénitude de l'enseignement de l'Église en ce qui concerne son rapport aux juifs, et conscients de notre responsabilité pour l'image de l'Église aux yeux de la jeune génération, nous ne pouvons cesser de nous opposer résolument a tous les symptômes de l'antisémitisme que Jean Paul II n'a pas hésité a appeler "péché". J'en ai assuré mes freres et sours juifs, au cours de ma récente priere commune avec eux a la fin du chabbat a la synagogue Tempel dans la Kazimiez cracovienne.

La direction que nous devons suivre vers une réconciliation et une amitié totales entre nos comunautés a été clairement indiquée par les déclarations du Concile Vatican II et les déclarations successives du Magistere de l'Église qui en découlent. Sur cette voie indiquée par le Concile et acceptée sans ambiguité par les papes successifs, et confirmée dernierement avec force par le Saint-Pere Benoit XVI, il n'y a pas de retour.

Au cours de ses nombreuses rencontres avec les représentants de la communauté juive, le Saint-Pere Jean Paul II a souvent répété que dans notre commune aspiration a la pleine réconciliation nous ne sommes qu'au début du chemin. Les premiers disciples de Jésus-Christ, y compris Sa Mere, étaient des Juifs qui, apres sa mort aussi, ont prié avec leurs compatriotes juifs au Temple de Jérusalem et dans les synagogues. Ensuite, pendant pres de deux mille ans, nous avons beaucoup fait pour nous éloigner les uns des autres.

Pres de deux générations ont passé depuis que nous avons commencé a faire des efforts conscients et résolus pour nous rapprocher. Lors de sa visite mémorable a la synagogue de Rome, en 1986, Jean Paul II a dit au grand rabbin de Rome lorsqu'ils sont tombés dans les bras l'un de l'autre: "Nous sommes comme des freres qui se sont retrouvés apres que beaucoup de temps ait passé..." Des freres qui viennent de se retrouver. C'est une situation dans laquelle, grâce a Dieu miséricordieux, nous nous trouvons aujourd'hui. Nous venons de nous retrouver et souvent nous nous connaissons trop peu, nous nous faisons trop peu confiance. Et ce n'est pas toujours spontanément que nous éprouvons le besoin de rester ensemble comme il convient a des freres.

Depuis l'effondrement du communisme, alors que nous sommes pleinement responsables de l'élaboration de la vie sociale sur la terre polonaise, nous avons déja fait beaucoup pour que chez nous aussi cette fraternité retrouvée des chrétiens et des Juifs soit universellement accueillie, et avec allégresse, comme  un don. Car nous sommes les uns pour les autres un don de Dieu fidele a ses promesses données "a Abraham et sa postérité pour toujours" (voir Luc 1,55).

Changement des esprits et des cours

Le revirement qui s'est opéré dans les relations chrétiens-Juifs apres le dernier concile a été en partie la réponse au choc qu'a éprouvé l'humanité au XXe siecle en prenant conscience de l'immensité de la souffrance a laquelle peuvent conduire le préjugé et la haine de l'autre. Consciente de cela, l'Église aspire a un changement profond des esprits et des cours de ses fils et filles quant au rapport aux Juifs. Changement au niveau de la théologie et de la catéchese, au niveau des Églises locales et de chaque paroisse.

Nous sommes toujours au début du chemin, conscients de la responsabilité particuliere de l'Église dans l'élaboration des attitudes de ses fideles, surtout dans un pays a dominante chrétienne. D'ou le rôle esssentiel du Comité de l'Épiscopat polonais pour le Dialogue avec le judaisme.

Nous nous rendons bien compte de l'importance de la formation des nouvelles générations de pretres et de catéchistes dans un esprit conforme a l'enseignement post-conciliaire de l'Église. Nous ne nous détournons pas de ce défi. Qu'on en prenne ici pour exemple le fait que depuis quelques années des groupes de pretres polonais qui enseignent au séminaire participent a la formation de quelques semaines organisée par l'Institut Yad Vashem a Jérusalem, ce qui permet une connaissance approfondie de la sensibilité juive associée au theme de l'Extermination.

Afin que les freres retrouvés puissent se rapprocher davantage il leur faut faire connaissance. Sur ce point, dans notre pays, au fil des ans il se passe de plus en plus de choses, dans l'Église aussi. Depuis maintenant pres de dix ans l'Église catholique de Pologne célebre la Journée du Judaisme, au cours de laquelle les catholiques découvrent le lien étroit de leur propre religion avec le judaisme et aussi - la ou c'est possible - rencontrent des disciples du jud         aisme et prient mutuellement pour l'autre, comme c'est le cas chaque année a Cracovie.

En ces lieux ou existent de grandes communautés confessionnelles juives, nous sommes témoins d'une coopération entre chrétiens et Juifs de plus en plus étroite et souvent conçue dans un cadre organisé. A Varsovie, le Conseil polonais des Chrétiens et des Juifs fonctionne depuis pres de vingt ans. A Cracovie, le Club des Chrétiens et des Juifs "Alliance", dont j'ai eu le plaisir de recevoir les responsables chez moi, a vu le jour récemment. A Oświęcim, au seuil du camp d'extermination hitlérien d'Auschwitz-Birkenau, le Centre de dialogue et de priere fonctionne depuis plusieurs années et sert d'espace pour la réflexion spirituelle et le dialogue, expression du souci de l'Église de Cracovie de permettre aux croyants une approche digne de leur foi de ce lieu de mémoire d'un crime aussi horrible.

Dans les écoles supérieures de Pologne, y compris catholiques, existent déja ou voient le jour de nouveaux centres d'études judaiques consacrés aux relations chrétiens-Juifs et a la thématique de l'Holocauste. De nouveaux centres de dialogue interreligieux voient le jour ainsi que nombre de fondations qui ouvrent pour la réconciliation.

La thématique du dialogue chrétiens-Juifs sera elle aussi constamment présente, certainement, sur le nouveau portail communautaire de  l'archidiocese de Cracovie: "franciszkańska3.pl", qui sera particulierement destiné aux jeunes.

J'accueille avec joie la nouvelle initiative que constitue le Prix du P. Stanisław Musiał, décerné chaque année a des personnes ou a des institutions particulierement méritantes dans le domaine de la réconciliation chrétiens-Juifs et polono-juive.

Ce qui est le plus réjouissant, ce sont les initiatives venues de  la base, lancées aussi dans de petites localités comme Chmielnik (dans le diocese de Kielce), qui reçoit aujourd'hui le Prix du P. Musiał. En ces lieux ou il n'y a aucun représentant de la communauté juive et ou ne sont restés que des tombes et des souvenirs, parfois pénibles, les gens de bonne volonté qui soutiennent les autres dans un travail difficile sur soi-meme, un travail sur sa propre mémoire, sur la "purification de la mémoire" - ces gens-la sont particulierement nécessaires. En ces lieux sont particulierement dignes d'éloges tous les efforts pour s'opposer aux vieux préjugés et forger le bien, dans l'esprit de l'encouragement de Jean Paul II: "Il vous faut l'exiger de vous-memes, meme si les autres ne l'ont pas exigé de vous" (18.VI.1983).

Que ces initiatives de toutes sortes engagées depuis vingt ans portent leurs fruits, le fait que pas plus dans la dimension sociale qu'a l'intérieur de l'Église ces questions difficiles n'ont été éludées en témoigne assurément. L'ouvre du défunt professeur Jan Błoński primé aujourd'hui en est un exemple évident parmi d'autres. Les représentants de l'Église, et parmi eux des éveques et des pretres, ne se sont pas abstenus non plus de participer aux débats nationaux les plus difficiles de ces dernieres années, comme celui touchant les tragiques événements de Jedwabne.

Sauver le bien

Dans tous ces efforts entrepris avec l'espoir d'une complete réconciliation nous éprouvons la vive nécessité d'un soutien émanant de la partie juive. Conscients de l'immense disproportion quantitative entre nos deux communautés, celle des chrétiens polonais et celle des Juifs polonais, nous comptons d'autant plus sur l'engagement plein de bonne volonté des représentants de la communauté juive d'Israël et des États-Unis dans ce dialogue. J'ai ici en particulier a l'esprit l'exigence, exprimée depuis longtemps par les représentants des deux parties, de rencontres fréquentes entre la jeunesse juive et la jeunesse polonaise. Nous comprenons que la jeunesse juive vienne dans notre pays avant tout en pelerinage sur les lieux du martyre de son peuple. Cependant, nous nous rendons compte aussi que seule une rencontre authentique des jeunes représentants de nos communautés peut déclencher le processus de cicatrisation des anciennes blessures, d'élimination des barrieres inutiles, de progres de la confiance mutuelle et d'approfondissement de notre fraternité.

Au cours de son pelerinage en Pologne en 1991, parlant a la communauté juive a Varsovie des nouvelles tâches qui nous attendent dans la Pologne libre, Jean Paul II a dit: "Il semble particulierement important aujourd'hui que, d'un côté comme de l'autre, nous nous efforcions de percevoir, de sauver et de faire revivre ce bien qu'il y avait entre nous et qui a tant fait pendant des siecles. Et que nous cherchions la réconciliation malgré le mal, car il y a eu beaucoup de mal aussi dans notre histoire" (9.VI.1991).

Nous ne pouvons pas ne pas remarquer que le dialogue oblige a une sincérité totale, que nous avons toujours devant nous le devoir de rompre le cercle de l'aversion qui empoisonne nos relations. Il est certain que l'une des conditions de la pleine réconciliation consiste a détruire les racines des préjugés réciproques et a s'opposer meme a leurs symptômes isolés. Il nous faut cependant beaucoup de courage, de détermination et de sagesse, pour n'etre pas freinés dans l'élaboration d'une nouvelle fraternité par les offenses d'individus ou de groupes des deux bords qu'il n'a pas encore été possible de persuader de la nouvelle vision des relations entre le christianisme et le judaisme en dépit des démarches entreprises.

Sans faiblir dans les efforts visant a la réconciliation entre chrétiens et Juifs, nous exprimons l'espoir inébranlable que notre dialogue s'approfondira et que les efforts déployés par les deux parties seront accueillis avec bienveillance et réciprocité. Nous comptons sur la compréhension des partenaires d'un dialogue qui fait qu'au-dela de ces actions qui engagent le processus de réconciliation a également été perçu l'engagement de ces nombreuses personnes de bonne volonté qui font beaucoup pour l'ouvre de rapprochement et qui se sentent fréquemment affectées elles-memes par les déclarations ou les actes de certains de  leurs coreligionnaires.

Une ere de renonciation et de paix

Pour nombre de chrétiens et de Juifs, et pour moi-meme, l'un des moment les plus émouvants du long pontificat de Jean Paul II a été la visite sous la Tente du souvenir, a Jérusalem, ou pres des cendres recueillies sur les lieux du supplice du peuple juif brule une flamme éternelle. En y accueillant le Pape, le Premier ministre d'Israël, Ehud Barak, né apres la guerre, a déclaré: "Votre Sainteté! Le cycle historique qui dure depuis deux mille ans revient a cet instant au point de départ (...) Les blessures du temps ne guérissent pas en un instant, mais le sentier qui T'a conduit en ce lieu conduit aussi vers un nouvel horizon. Ce moment sera gravé dans les annales de l'histoire comme un moment de bonne volonté, un moment de vérité, un moment de triomphe de la justice et de l'espoir" (23.III.2000).

Au cours de ce meme pelerinage, rendant visite au président d'Israël, Jean Paul II a dit: "Nous devons ouvrer pour que vienne une nouvelle ere de réconciliation et de paix entre Juifs et chrétiens. Par ma visite je fais promesse que l'Église catholique fera tout ce qui est possible pour que cette vision ne reste pas seulement un reve mais devienne une réalité" (23.III.2000).

Je voudrais que ces deux voix, pleines d'espoir et de détermination, soient pour nous une source d'inspiration dans nos efforts futurs pour la réconciliation. Qu'elles résonnent a nos oreilles, surtout quand vient la tentation du découragement et de quitter le sentier du dialogue, de pénétrer sur le sentier plus aisé des accusations et de la confrontation.

De mon côté, ici, a Cracovie, pres de la colline du Wawel ou se dresse le palais royal de Casimir le Grand et la cathédrale de l'éveque Karol Wojtyła, je désire vous assurer tous et en faire la promesse que l'Église catholique de Pologne, en union avec le pape Benoît XVI, aspire a faire tout ce qui est possible pour se rapprocher de plus en plus de cet horizon nouveau qu'est le plein épanouissement de notre fraternité de chrétiens et de Juifs récemment retrouvée.

Le cardinal Stanisław Dziwisz (nÉ en 1939) est archeveque métropolitain de Cracovie et membre du Conseil permanent de l'Épiscopat de Pologne. Secrétaire de Karol Wojtyła / Jean Paul II pendant de longues années, docteur en théologie, membre de trois Dicasteres du Vatican: la Congrégation pour l'éducation catholique, le Conseil pontifical des communications sociales et le Conseil pontifical pour les laics.

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Artykuł pochodzi z numeru TP 13/2010

Artykuł pochodzi z dodatku „Żydownik Powszechny (Francais)