LE PAUVRE CHRÉTIEN REGARDE JEDWABNE

ArchevEque Henryk Muszyński: Notre commun commandement avec les Juifs dit: tu ne tueras point. Il nous faut reconnaître que nous n'avons pas observé ce commandement.

15.12.2010

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Biedny chrześcijanin patrzy na Jedwabne /
Biedny chrześcijanin patrzy na Jedwabne /

L'interview de l'archeveque Henryk Muszyński a paru dans "TP" n° 12/01, dans le cadre d'un supplément consacré a un débat autour du crime de Jedwabne; a cette époque, "Tygodnik" a également publié des articles de Jan Tomasz Gross, Halina Botnowska, du P. Michał Czajkowski, de Maria Janion, Aleksander Klugman, Gabrielle Lesser, Alina Margolis, Wojciech Stanisławski et Joanna Tokarska-Bakir, ainsi que des entretiens avec Aleksander Kwaśniewski, Leon Kieres, Tomasz Szarota, Michał Głowiński et Norman Davies.

Le crime de Jedwabne, commis par des habitants polonais de la localité contre leurs voisins juifs, a eu lieu le 10 juillet 1941. On a tué ou brulé plus de 300 personnes, "on peut admettre" que ce fut a l'instigation des Allemands (rapport d'enquete de l'Institut de la Mémoire nationale, IPN; "Les Voisins", le fameux livre de Jan Tomasz Gross, donne le chiffre de 1 600 personnes). La publication des "Voisins" a marqué le début d'un des plus grands débats de la IIIe République, conduisant a la révision du passé de la Pologne et des Polonais considéré comme exclusivement héroique. L'Église a également pris part a ce débat: dans l'église varsovienne de Tous-les-Saints s'est déroulée une liturgie expiatoire au cours de laquelle l'Épiscopat polonais a demandé pardon a Dieu pour ce crime contre les Juifs (voir le texte du P. Adam Boniecki p. 26). Au cours des cérémonies funebres a Jedwabne organisées par le président de la République Aleksander Kwaśniewski, les archeveques ont fait défaut - le représentant de l'Épiscopat était le P. Adam Boniecki (voir la relation du rédacteur en chef de "TP" p. 27).

P. Adam Boniecki, MichaŁ OkoŃski: Dans une lettre de l'Épiscopat publiée il ya onze ans a l'occasion de l'anniversaire de la proclamation de la déclaration conciliaire "Nostra aetate", nous lisons: "Hélas, cette terre [la Pologne] justement est devenue en notre siecle une tombe pour plusieurs millions de Juifs. Ni par notre volonté ni de notre main." Apres la publication du livre sur le crime de Jedwabne par Jan Tomasz Gross, cette derniere phrase reste-t-elle actuelle?

ArchevEque Henryk MuszyŃski: L'Holocauste n'a été commis, effectivement, ni de notre main ni par notre volonté. Cette phrase a été, hélas, contestée par de nombreux Juifs. Mais dans cette lettre il est aussi nettement dit: "Quand bien meme il n'y aurait eu qu'un seul chrétien qui put l'aider et qui n'a pas tendu une main secourable a un Juif au moment ou il était menacé ou qui a contribué a sa mort, cela nous commande de demander le pardon de nos sours et freres juifs." La discussion autour du livre de Gross est une conséquence de ces paroles-la. Je ne suis pas historien, il m'est difficile de juger a quel point "Les Voisins" est une publication partiale, tendancieuse ou incomplete. Les sources sont fragmentaires, d'ou assurément la difficulté de restituer avec précision ce qui s'est passé a Jedwabne en ce jour tragique du 10 juillet 1941. Le fait est cependant que grâce au livre de Gross un grand débat s'est ouvert qui peut avoir des conséquences d'une grande portée pour les rapports polono-juifs. Il est bien aussi que l'enquete de l'Institut de la Mémoire Nationale se poursuive car - je n'en doute pas - elle aidera a ce qu'on parvienne a l'entiere vérité historique. Mais indépendamment du fait qu'il apparaisse qu'on a brulé 1 600 ou 160 Juifs, un crime reste un crime. Quelqu'un a dit, et cela m'a fait beaucoup de mal, qu'il suffit d'ôter un zéro au nombre des victimes donné par Gross. On ne peut parler ainsi car - je le répete - un crime reste un crime, indépendamment du nombre de victimes. Devant Dieu chaque homme est unique et sans copie possible.

Celui qui en est l'auteur répond directement de son crime; cependant, ceux qui lui sont associés par des liens religieux ou nationaux, bien qu'ils n'assument pas personnellement la faute, ne peuvent se sentir exempts d'une responsabilité morale a l'égard des victimes de ce meurtre.

L'auteur direct de ce crime, c'étaient les habitants polonais de Jedwabne...

Je préciserais cette affirmation: certains habitants polonais de Jedwabne. Je pense que les habitants de cette localité aujourd'hui se sentent blessés, a juste titre, par des affirmations aussi globales.

Instigateurs et auteurs

Aucun historien honnete ne peut examiner cette tragédie-la uniquement sous l'angle des rapports polono-juifs. La maniere dont le meurtre a été commis - bruler les gens vivants - trouve des analogies dans des meurtres semblables commis par les Allemands et dont les victimes étaient des Juifs et des Polonais. Et cela indique que l'inspiration est venue d'ailleurs.

Le principal témoin appelé par Gross, Szmul Wassersztajn, parle carrément d'ordre donné par les Allemands, bien qu'il ajoute: "Meme si l'ordre en a été donné par les Allemands, ce sont les voyous polonais qui s'en sont chargés et qui l'ont mis a exécution de la plus horrible façon."

Donc, la responsabilité morale en incombe autant a ses auteurs directs qu'aux instigateurs du crime. En tant que spécialiste de la Bible je veux rappeler une scene du Second Livre de Samuel. David envoie Urie la ou se déroule le combat le plus acharné afin qu'il y périsse. David n'est pas le meurtrier direct, mais c'est justement a lui que le prophete Nathan se présente, et il lui dit: "Tu as frappé de l'épée Urie, le Hétien. Tu l'as tué par l'épée des fils d'Ammon." David avait envisagé de supprimer Urie, mais il s'est servi de quelqu'un d'autre.

Ce n'est évidemment pas une justification des auteurs directs, mais il faut s'en souvenir dans le processus qui conduit a l'entiere vérité. Au sens moral, les mandants et les instigateurs peuvent etre appelés assassins a l'instar de David. Il a pourtant fallu la voix du prophete pour que David puisse entendre: "C'est toi l'assassin". Lâche dans le péché, David s'est révélé grand dans l'aveu de sa culpabilité par ces paroles: "J'ai péché contre Dieu". Ce n'est que lorsqu'il s'est montré dans toute sa vérité devant Dieu et les hommes qu'il a entendu ce qu'il espérait: "Le Seigneur t'absout de ton péché". Tout crime entraîne une culpabilité non seulement a l'égard de l'homme mais touche aussi Dieu lui-meme, car il constitue une violation des lois fixées par Lui.

On peut dire que les Allemands ont réglé les comptes avec leur propre passé; qu'ils ont assumé la responsabilité de l'Holocauste. Pour les Polonais, l'information concernant la participation de leurs compatriotes a s'assassinat des juifs est un choc...

Les Polonais ne peuvent pas assumer la responsabilité de l'Holocauste puisque ce n'est pas leur ouvre.

En revanche, concernant la participation de nos compatriotes a l'assassinat des Juifs, le drame réside en ceci que l'idéologie communiste a falsifié pour la deuxieme fois la vérité historique déja falsifiée par l'idéologie nazie. Nous avons eu quelque chose de semblable a Katyn ou le crime soviétique a été imputé aux nazis, mais aussi a Auschwitz ou l'on a réduit le nombre de victimes juives. On nous a commandé de prier devant certains monuments, interdit de prier devant d'autres. C'est pourquoi, lorsque j'ai vu a la télévision qu'on faisait disparaître le vieux monument de Jedwabne j'y ai vu un symbole: le début de la fin d'une époque d'hypocrisie, d'instrumentalisation et d'idéologisation de la vérité. Car la vérité a été instrumentalisée. La vérité était ce qui servait l'idéologie communiste...

L'antagonisme de la souffrance

C'est un aspect. L'autre c'est la réticence, psychologiquement compréhensible, a reconnaître que les Polonais - victimes du nazisme - peuvent aussi se révéler coupables. Nous nous sentons offensés et furieux lorsqu'on nous rappelle que nous avons regardé la tragédie du ghetto avec indifférence, et quant a la lecture de Gros...

Dans le conscient des Polonais, tout comme dans le conscient des Juifs, il était et il reste profondément enraciné que nous sommes les victimes du nazisme hitlérien. Je peux parler au nom d'une génération qui a vécu la guerre. A l'époque de l'occupation nazie on distinguait deux ctégories essentielles: les bourreaux et les victimes. Nous étions victimes, nous et les Juifs. Il faut le dire ici tout de suite: pas de la meme maniere et pas au meme degré. Le Juif portait son arret de mort sur lui et il devait périr, le Polonais pouvait survivre en tant qu'Untermensch. Malgré cela, lorsque les Juifs soulignent le caractere d'exception ou carrément unique de l'Holocauste, les Polonais se sentent blessés: il leur est difficile de se résigner au fait que les Juif ont davantage souffert que tous les autres et de comprende en quoi different, par exemple, le meurtre de toute une famille juive et le meurtre d'une famille polonaise qui a caché des Juifs, meurtre commis par ces memes auteurs comme partie intégrante du meme plan criminel. Ainsi naît l'antagonisme de la souffrance.

Pourtant, la discussion autour de l'affaire de Jedwabne peut représenter un tournant et émousser l'antagonisme. Dans une interview a l'Agence Catholique d'Information, le rabbin Schudrich a dit que les Juifs n'étaient pas uniquement des victimes mais qu'il y avait eu parmi eux "de mauvaises gens qui en avaient lésé d'autres" - en agissant au service des communistes ou, carrément, des nazis. Cela dit par un homme qui est lui-meme innocent. C'est pour nous un grand défi: que nous soyons capables d'avouer et de dire exactement la meme chose concernant la coresponsabilité ou meme la complicité de ces Polonais qui ont effectivement  pris part aux crimes. Sans cet aveu il n'y aura pas de purification de la mémoire, ce dont nous parlons si souvent ces temps-ci.

Mais nous avons a cela des raisons supplémentaires. La regle d'or qui est un résumé de l'Évangile dit: "Faites aux hommes tout ce que vous voudriez qu'ils vous fassent." Nous n'avons le droit moral d'attendre que quelqu'un nous demande pardon que lorsque nous faisons ce que le Christ attend de nous.

Nous devons demander le pardon

Nous nous rappelons notre attente de voir les éveques allemands nous présenter des excuses, bien qu'ils n'aient pourtant pas été des SS...

L'analogie est tres éloignée. Le nazisme était dans une grande mesure l'ouvre du peuple allemand et c'était une idéologie d'État. Le crime de Jedwabne a été commis par des Polonais mais pas au nom du peuple polonais. On ne peut mélanger ces deux ordres de chose ni appliquer une responsabilité collective, sinon morale, laquelle en appelle a la solidarité et a la communauté: du peuple et de confession. Nous sommes fiers qu'il y ait eu tant de Polonais  Justes parmi les Nations du monde. Mais ce n'est pas toute la vérité sur les comportements polonais pendant  la guerre...

Et deuxieme question: les éveques polonais ont dit aux éveques allemands "nous pardonnons et nous demandons le pardon". Nous ne pouvons rapporter cela aux Juifs, car cela signifierait que nous les mettons sur le meme plan que les nazis. Ici, nous ne pouvons que dire: "Nous demandons le pardon." A Dieu nous disons quotidiennement: "Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons a ceux qui nous ont offensés." Cela ne signifie pas que Dieu pardonne a la mesure de l'homme. Au contraire, nous participons au pardon de Dieu, Dieu nous pardonne et cela nous oblige a pardonner. En un certain sens le rabbin Schudrich est venu a notre rencontre, il montre la nécessité absolue de notre part d'exprimer une demande de pardon. Elle est d'une actualité brulante des lors que certaines victimes ou des parents des victimes de ce crime vivent toujours.

Afin d'obtenir le pardon de Dieu, quiconque a commis un crime ou un péché contre son prochain doit paraître aussi en pleine vérité devant les gens. Il n'y a pas d'autre voie pour obtenir le pardon. Ces questions-la ont une énorme signification. Je me souviens qu'a Kielce, dans les années quatre-vingt, avait lieu la consécration du cimetiere juif dans lequel on avait placé les matsevah, les pierres tombales que les hitlériens n'avaient pas eu le temps de détruire. En tant que président de la sous-commission pour le Dialogue avec le judaisme je m'étais rendu a Kielce pleinement conscient d'etre sur le lieu d'une transgression commise par de nombreux Polonais. Les Juifs interpréterent ma présence non seulement comme un signe de participation a leur douleur, mais également comme une forme de réparation. Une Américaine s'approcha alors de moi et me dit: "Merci monseigneur. Vous etes le premier pretre qui, sur une terre communiste, ait appelé pogrom ce qui s'est passé ici" - car officiellement on parlait plutôt d' "incidents" ou bien des "événements de Kielce".

Contrition et honte

Votre Éminence parle du mensonge de l'idéologie communiste, mais c'est la Sureté communiste qui a mené l'enquete dans l'affaire de Jedwabne, et un tribunal communiste qui a condamné ceux qui ont pris part au crime. Le fait qu'on n'en ait pas parlé pendant un demi-siecle, nous l'attribuerions plutôt a une tendance assez naturelle au silence sur ce qui est infamant...

Apres avoir lu "Les Voisins" j'ai éprouvé le sentiment que ce proces, dans l'affaire du crime de Jedwabne, a plutôt été une farce:  comment peut-on juger honnetement vingt personnes en une seule journée? En tout cas ce ne fut pas le verdict d'un tribunal autonome et indépendant - plutôt une vérité au service d'une idéologie. Évidemment, il est difficile d'avouer sa complicité dans un crime aussi montrueux. Peut-etre la honte et la douleur que nous éprouvons aujourd'hui comme Polonais est-elle une forme d'autopurification et de réparation. Cela exige évidemment du courage.

L'acte d'accusation de l'époque disait: "... sur le fait que le 25 juin 1941 [déja l'erreur dans la date est compromettante en soi] a Jedwabne, district de Łomża, pretant la main aux autoritrés allemandes ont pris part a la capture d'environ 1200 personnes de nationalité juive, lesquelles ont été brulées collectivement par les Allemands dans la grange de Bronisław Śleszyński". Ainsi donc, le tribunal a reconnu que les Allemands les avaient brulés...

D'un côté, donc, il y avait la "vérité au service de l'idéologie", et de l'autre un réflexe d'autodéfense de la part de ceux qui étaient conscients d'etre eux-memes des victimes. Toute la génération de la guerre a fait l'expérience des persécutions allemandes. Une poignée seulement a tenu le rôle des persécuteurs.

Malgré cela, dans beaucoup de récits de l'époque de l'occupation le Polonais apparaît comme une menace pour le Juif. Michał Głowiński mentionne une scene ou deux dames dans un café se demandent a haute voix si le garçon qui est assis a la table voisine est ou n'est pas juif. Passons sur l'écho des voix qui résonnent dans la presse clandestine de l'époque, satisfaites que les Allemands s'expliquent avec les Juifs. Tout simplement, ceux qui cachaient des Juifs ne les cachaient pas seulement des Allemands, ils les cachaient aussi des Polonais...

Il faut tenir compte de l'atmosphere qui régnait autour de la terreur. Sauver un Juif en Pologne et, par exemple, en Hollande, n'a pas la meme dimension. Chez nous, avoir caché des Juifs rendait la famille entiere passible de la peine de mort. On l'oublie souvent dans les discussions a l'étranger mais c'est aussi une parcelle de la vérité historique. Évidemment, d'un point de vue moral pas seulement le crime mais aussi toute forme d'indifférence et d'offense a l'égard des Juifs et de tout autre homme mérite un repentir sincere, la contrition, et qu'on demande le pardon. Sans mettre en doute des faits isolés, je pourrais tout de meme indiquer des cas ou une grande partie d'un hameau savait qui cachait des Juifs, et pourtant on ne les a pas livrés. Toute généralisation est ici déplacée.

La purification par la vérité

Que peut faire l'Église dans l'affaire de Jedwabne?

D'abord il faut dire ce qu'elle a fait jusqu'a présent pour la "purification de la mémoire". Il suffit de se rappeler l'attitude du Pape qui, au nom de l'Église toute entiere s'est excusé pour les fautes et les péchés commis envers les Juifs. L'Épiscopat polonais, des 1990, a affirmé que meme s'il n'y avait eu qu'un seul Polonais qui eut tué, c'est une raison pour que nous en demandions le pardon. N'était-ce pas une formulation trop prudente? Nous rencontrions alors fréquemment la mise sur le meme plan des Polonais et des Allemands. On a aussi beaucoup parlé du caractere exceptionnel de l'antisémitisme polonais. Si nous nous étions alors excusés du péché d'antisémitisme on aurait pris cela pour l'aveu d'une responsabilité dans ce qu'on appelle l'antisémitisme polonais qui, pour beaucoup de Juifs, est synonyme de la pire forme de l'antisémitisme en général. Mais dix ans plus tard le Primat, dans son introduction expiatoire a la sainte messe jubilaire, a demandé le pardon pour l'égarement dans l'amour de l'homme qui, chez certains ecclésiastiques, a conduit a la "tolérance des symptômes d'antisémitisme".

J'ai souvent répété que la réconciliation polono-juive n'avait pas encore commencé, que nous étions toujours dans une phase d'accusations réciproques. Apres la déclaration du rabbin Schudrich je suis pret a changer d'avis. Le rabbin a dit que "l'Holocauste a été planifié et mis en ouvre du début a la fin par les Allemands", et qu' "accuser les Polonais de complicité dans l'Holocauste est un péché". Il a dit aussi une phrase digne de la sagesse juive: "Au sujet de l'antisémitisme polonais, ça ne vas pas aussi mal que le disent les Juifs, ni aussi bien que le pensent eux-memes les Polonais." Pour moi, cela dénote une disposition a rechercher un terrain d'entente commun et a parvenir a la pleine vérité dans le dialogue. Par dialogue, j'entends non un désir de convaincre l'autre, mais un effort pour comprendre le partenaire du dialogue tel qu'il se comprend lui-meme.

La déclaration du rabbin Schudrich peut meme constituer un tournant dans la recherche de la pleine vérité morale et meme historique, et par conséquent un tournant aussi dans la clarification par la vérité. La clarification dans les accusations mutuelles, les idées préconçues réciproques, les mensonges, peut marquer le début du chemin vers la réconciliation. Le premier pas sur ce chemin, également indispensable, est cependant la demande de pardon. Bien que ce soit un acte moral, intérieur, elle a tout de meme une énorme signification pratique dans les contacts des Juifs avec les Polonais. Le crime de Jedwabne - comme du reste tout autre crime - divise les gens. Nul n'est capable de rendre la vie a l'innocent assassiné, mais l'acte moral de contrition rapproche et peut constituer un moment décisif sur la voie de la réconciliation.

Nous, chrétiens, nous croyons que Dieu nous a réconciliés avec lui dans le Christ. La réconciliation avec Dieu passe cependant toujours par la réconciliation avec l'autre. "Va d'abord, réconcilie-toi avec ton frere". Dieu veut la réconciliation de gens aux mains propres. Il ne veut pas de victimes, il l'a dit par les prophetes: je ne veux pas de vos victimes, car vous avez du sang sur les mains.

C'est la substance de notre foi chrétienne en meme temps qu'une obligation. C'est la meme chose avec le pardon. Dieu m'a pardonné bien des fois, je suis obligé au pardon. Évidemment, pardonner ne signifie pas oublier...

Ce que les Polonais diront a Dieu

Lorsque nous entendons de la bouche des éveques des éloges a l'adresse du rabbin Schudrich parce qu'il s'oppose aux opinions préjudiciables aux Polonais, qu'il reconnaît que du côté juif non plus les mauvaises gens n'ont pas manqué, nous éprouvons une certaine inquiétude. Vous dites, monseigneur, qu'un vrai dialogue peut maintenant s'engager. Comme si nous avions besoin de quelqu'un qui énonce on ne sait quelles formules pour nous justifier, qui en quelque sorte nous absout et qu'alors seulement nous pourrons nous avouer coupables....

Je vois ici une certaine analogie avec la réconciliation germano-polonaise. La-bas aussi l'initiative est venue de ceux qui furent victimes. Il vaut cependant la peine d'ajouter que bien que ce soit le rabbin qui a fait les premiers pas, la réponse du Primat a sa lettre a également été importante. Car elle a créé un terrain spirituel approprié pour s'unir aux victimes a travers la priere commune, dans un deuil commun des innocents assassinés. Une réflexion plus approfondie sur la dimension morale du crime et du péché constitue également une réponse a l'appel du Pape, qui nous engage: duc in altum!, avance au large.

Le rabbin Schudrich a dit: "Ce qui devrait etre plus important pour les Polonais que ce qu'on dira de cette tragédie aux USA c'est ce qu'ils diront eux-memes a Dieu." Je dirais: ce qui est important c'est la maniere dont les Polonais se tiendront dans la vérité devant Dieu, le Dieu commun. Ce qu'ils diront m'intéresse moins - on sait qu'ils sont bavards... Mais comment se tiendront-ils dans la vérité? Notre commandement commun avec les Juifs dit: tu ne tueras point. Il nous faut reconnaître que nous n'avons pas observé ce commandement. Mais la déclaration du rabbin aide a surmonter les généralisations et les jugements injustes.

L'éveque Stefanek a dit que Jedwabne serait un sanctuaire de la souffrance. Moi je pense que ce sera quelque chose de plus - un premier pas sur le chemin de la réconciliation des victimes du nazisme. Ici je voudrais également exprimer des paroles de sincere communauté d'âme a ceux qui habitent aujourd'hui cette localité. Car enfin, dans leur écrasante majorité ils sont innocents, chrétiens, or dans le christianisme la souffrance des innocents a un caractere purificateur, carrément salvateur. Il faut les remercier de porter la douleur avec dignité et prononcer des paroles d'espoir: se dire que dans le processus de réconciliation Jedwabne aura une part que peu de localités ont eue.

J'ai lu récemment dans "Tygodnik" un reportage sur l'assassinat d'Allemands apres la guerre a Nieszawa. Cette localité se trouve dans ma métropole, dans mon ancien diocese, je connais certaines des personnes qui sont nomément mentionnées, je l'ai donc lu avec émotion. Et j'y ai retrouvé une atmosphere spécifique: de recueillement, de relation a Dieu, d'examen de conscience honnete, de comptes soldés avec le passé et de revirement. J'avais eu l'occasion de m'entretenir avec un tres haut représentant du gouvernement allemand qui m'avait dit qu'il n'y aurait aucune ingérence extérieure dans cette affaire, car quoi que l'on aurait pu dire du dehors cela n'aurait pu que porter préjudice. C'est important: quelle que soit la pression du dehors elle peut avoir l'effet inverse. A une distance de plusieurs kilometres, de plusieurs miles, tout semble sans doute différent.

L'Église a pourtant gardé le silence tres longtemps dans ces affaires...

Grâce a Dieu elle s'est tue, elle ne s'est pas exprimée, par exemple, selon les schémas imposés par le pouvoir communiste, et n'a pas usé de la teminologie selon laquelle les "sionistes" constituaient la plus grande menace pour les Polonais. A partir du moment ou nous pouvons parler librement de ces questions, la voix de l'Église ne fait pas défaut, meme dans les affaires les plus délicates.

Il y aura des gestes symboliques

Nous répétons donc la question: que peut faire l'Église aujourd'hui dans l'affaire de Jedwabne?

A ce stade de compréhension mutuelle et de rencontre avec nos freres juifs il y aura indubitablement un geste symbolique de notre part. Nous avons des psaumes communs, des prieres communes auxquelles nous pouvons recourir... Il est trop tôt pour parler d'éléments concrets.

Que les gestes symboliques aient une signification, le Saint-Pere l'a montré au Mur des Lamentations. Sans lui il n'y aurait pas eu "Dabru emet", la déclaration des rabbins américains publiée dans le "New york Times", qui appelle a une nouvelle réflexion sur le rapport des Juifs a Jésus de Nazareth, a la substance de la foi chrétienne et aux racines de l'antisémitisme.

Je me souviens d'etre allé a Rome pour y rencontrer monsieur Joseph Lichten, représentant de la ligue "B'nai B'rith" au Vatican. Je lui ai téléphoné et madame Lichten m'a dit qu'il venait juste de mourir. L'actuel cardinal Mejia, le P. Fumagalli et moi avons pris part aux obseques. Nous connaissons tous trois l'hébreu et un probleme surgit: des pretres catholiques peuvent-ils prendre une part active a des obseques juives et réciter en hébreu le psaume "De profundis"? Les rabbins étaient d'avis partagés mais on aboutit finalement a un précédent historique et nous nous joignîmes a la priere. J'étais tellement ému que je pouvais a peine parler...

Il convient d'attirer l'attention sur le fait que ce geste du Pape au Mur des Lamentations, mais aussi a Yad Vashem, éloquent dans sa substance, avait une dimension nettement prophétique. La ou la parole échouait, les grands prophetes d'Israël avaient recours a des symboles qu'il est impossible d'oublier. Le Pape n'a présenté aux Juifs aucune condition préalable. L'inspiration était l'Évangile: "Faites a autrui ce que vous voudriez qu'on vous fasse." Chez nous, hélas, s'est enraciné le précepte "ne fais pas a autrui ce qui ne t'est pas agréable". Mais ce n'est pas encore le christianisme. La vocation du chrétien est de faire le bien, d'imiter le Christ qui a passé sa vie a faire le bien de tous et pas seulement a éviter le mal.

Dans les controverses historiques concernant Jedwabne, l'Église, a vrai dire, n'apparaît pas; controverse marginale: l'éveque Łukomski a-t-il ou non reçu un chandelier en échange de la protection des Juifs. Et pourtant, tout le monde attend que l'Église se fasse entendre...

Pour moi, c'est compréhensible car il s'agit d'une dimension éthique ou éthico-religieuse de la vérité. De l'Église, les gens attendent - et ils sont en droit d'attendre - qu'elle prenne position sur ces questions. Mais le meilleur indicateur est le témoignage fidele de l'Évangile.

On peut aussi parler de la responsabilité de l'Église: ne serait-ce que pour des années d'enseignement de l'antisémitisme. Le rabbin Baker, qui a quitté Jedwabne avant la guerre, rappelle les contacts presque idylliques avec les voisins polonais. Ils n'étaient perturbés, le plus souvent, qu'au moment de Pâques, lorsque l'enseignement religieux évoquait l'image du Juif-Déicide.

Je le répete encore une fois: je ne conteste pas des faits isolés, mais on ne peut tout de meme en tirer aucune conclusion générale. Le rabbin Baker demande qu'un seul et unique moment, fut-il aussi tragique, ne marque pas des centaines d'années d'histoire comune. Quant a l'antisémitisme: l'Église, en la personne du Pape, a reconnu sa responsabilité pour les fautes du passé. Depuis l'époque du Concile nombre d'admirables documents ont surgi concernant les Juifs et l'enseignement sur les Juifs qui, dans bien des cas tout de meme, attendent d'etre pleinement réalisés.

Le Primat a dit que la participation de l'Église aux célébrations du 60e anniversaire du crime de Jedwabne garantit que ce ne sera pas la "une expiation tapageuse" mais "un regard sur soi-meme dans l'humilité et la vérité". Dans la politique contemporaine, l'excuse s'est extraordinairement banalisée, elle est devenue un tribut rendu a l'opinion publique...

Face a une tragédie aussi épouvantable, quelque attitude que ce soit serait une profanation de la mémoire des victimes. Cela doit se dérouler de maniere extremement digne, dans une attitude de compassion, de commune participation et de communauté dans la priere. Le terrain a été préparé en ce sens, ne pas en tirer parti serait un péché de négligence. Maintenant - ainsi que le mentionne le Primat - une réflexion religieuse approfondie, sereine, est effectivement nécessaire, et non la multiplication de nouvelles déclarations tapageuses.

Et pourtant nous espérions entendre la voix de l'Épiscopat, ne fut-ce qu'afin que les déclarations des divers éveques ne se transforment pas en polyphonie. Ce qu'a dit l'éveque Stefanek a Jedwabne differe tout de meme de ce qu'a dit le Primat...

Je ne connais malheureusement pas le contenu intégral de la déclaration de l'éveque Stefanek. La version qu'en donne l'Agence Catholique d'Information differe assez nettement de ce que j'ai pu lire dans les quotidiens - dans cette affaire seul l'éveque Stefanek lui-meme pourrait répondre en connaissance de cause. La structure hiérarchique de l'Église fait que la déclaration de l'éveque local a toujours un sens prioritaire... Dans toute affaire individuelle il est difficile de s'attendre a une réaction de l'ensemble de la Conférence épiscopale. Et si de nouvelles affaires de ce type se présentent? L'Épiscopat doit-il réagir a chaque fois? A l'occasion de l'anniversaire de "Nostra aetate" la Conférence de l'Épiscopat a publié une lettre particuliere lue dans toutes les églises de Pologne. Ce qui y était dit au sujet de la demande de pardon est toujours d'actualité. Ce n'est pas que la voix de l'Église ne se fait pas entendre.

Aussi bien le Primat, en tant que président de la Conférence de l'Épiscopat, que le rabbin Schudrich, au nom de la communauté des Juifs de Pologne, ont exprimé le désir d'une priere commune a l'occasion du soixantieme anniversaire des événements tragiques de Jedwabne qui se prépare. Une fois encore j'exprime ma conviction que c'est dans une communauté spirituelle aussi avancée et la compréhenson mutuelle que se trouve également le moyen approprié d'une commémoration digne d'un crime si abominable et d'une forme de réparation pour le mal commis.

Recueilli par le P. Adam Boniecki et Michał Okoński.

L'archevEque Henryk Muszyński (nÉ en 1933) est archeveque métropolitain de Gniezno et - depuis décembre 2009  - primat de Pologne. Théologien, spécialiste de la Bible de formation, il s'intéresse notamment aux manuscrits de Qumran. Engagé depuis des années dans les dialogues polono-juif et germano-polonais, président de la Commission de l'Épiscopat polonais pour le dialogue avec le judaisme entre 1989 et 1994.

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Artykuł pochodzi z numeru TP 13/2010

Artykuł pochodzi z dodatku „Żydownik Powszechny (Francais)