LARMES DE JUIFS

Jedwabne. Froide journée, 10 juillet 2001. Pourquoi sommes-nous ici? Le rabbin Jacob Baker, qui est né ici et qui est parti d'ici pour l'Amérique avant 1939, parle: Pas seulement parce que - comme on pourrait le penser - on a brulé vive ici toute une communauté. Je pense que cela est du aux larmes versées par les Juifs et des gens d'une autre confession. Cela a fait grande impression au ciel.

15.12.2010

Czyta się kilka minut

Le texte du P. Adam Boniecki a paru dans "TP" n°29/01:

Le rabbin Baker (autrefois Jakub Piekarz) est vieux, il marche avec peine et son visage est blanc comme du papier. Et pourtant, maintenant, lorsqu'il parle - longuement, sans notes, sur un fond de ciel gris - une force émane de lui. Le rabbin Baker dit qu'il faut apprendre l'amour du prochain et que Jedwabne sera le point initial de cet enseignement.

Hier, au petit palais du Ministere des Affaires étrangeres a Varsovie, des descendants des Juifs habitant alors a Jedwabne ont pris la parole. Ils sont venus des USA, d'Israël, du Mexique et d'Argentine a l'invitation du gouvernement. Apres la rencontre avec le ministre ils sont allés vers les journalistes. Ils en ont choisi quelques-uns parmi eux qui ont parlé au nom de tous. Le gendre du rabbin Baker (lequel était trop fatigué pour prendre part a la rencontre), rabbin lui aussi, dit de la Pologne qu' "il n'y aurait pas d'histoire juive sans la Pologne, car les Juifs ont été une part de l'histoire polonaise pendant plus de mille ans, et les plus grands rabbins, les plus sages, toute notre culture tire son origine de ce territoire". Il dit aussi que "Jedwabne est le fruit de la haine semée par les Allemands. Ce n'est pas l'histoire de la Pologne, ce n'est pas vous qui avez semé la haine mais les nazis".

Mais un autre ton dominait. D'autres parents des victimes ont dit: "Nous ne sommes pas venus en Pologne chercher une vengeance ni, comme certains le pensent, un dédommagement, mais pour pleurer nos ancetres et réciter le Qaddich pour eux." Ils ont dit: "Nous n'avons pas besoin de cette cérémonie ni d'un repentir public. Nous sommes ici pour dire que les victimes importent peu aux Polonais. Ils devraient se préoccuper d'eux memes; la honte et le repentir, qu'ils les gardent pour eux."

Ils ont dit: "Que Yahvé le Tres-Puissant s'efforce de transmettre la vérité et se préoccupe d'un sanctuaire (a Jedwabne) afin que les âmes de ceux qu'on a assassinés puissent y demeurer."

Ils ont dit: "Nous sommes venus malgré des épreuves pénibles, comme l'exhumation et la premiere version de l'inscription sur le monument, offensante pour les Juifs. C'est bien qu'on ait modifié l'inscription, mais la nouvelle non plus ne reflete pas toute la vérité. Nous l'accepterons lorsqu'elle montrera toute cette vérité." Ils ont aussi parlé des nombreux Polonais qui ont sauvé des Juifs a Jedwabne, ajoutant qu'ils ne donneraient pas leurs noms car cela pourrait mettre ces gens-la en danger, et ils ont souhaité une Pologne ou une mere pourrait dire sans crainte a son enfant qu'il est Juif.

Ils ont dit cela avec une certaine lassitude, sans colere. C'est la deuxieme génération de ceux qui ont survécu a l'Holocauste. Ils disent ce que leur ont raconté leurs parents et les membres de leurs familles; ce que ceux-la se rappelaient du 10 juillet 1941. Ils se rappelaient l'épouvante, la mort, les cris venant de la grange et l'odeur étouffante de la fumée et le fait que les assassins étaient des Polonais. Et le fait qu'ils doivent le salut a des Polonais et que cette menace pesait sur leurs sauveurs. C'est ce récit juif de Jedwabne qu'a conservé leur mémoire. Notre mémoire collective a retenu ceux qui ont été des sauveurs au péril de leur vie.

C'est pourquoi ils disent: "L'inscription sur le monument ne nous satisfait pas, nous voulons qu'elle dise la pleine vérité." L'inscription sur le monument est celle-ci: "A la mémoire des Juifs de Jedwabne et des environs, des hommes, des femmes, des enfants, exploitants communs de cette terre assassinés, brulés vifs en ce lieu le 10 juillet 1941. Jedwabne, 10 juillet 2001." L'inscription est en polonais, en hébreu et en yiddish. Au-dessus, en hébreu, cette priere: "El malé rahanim!" Dieu plein de miséricorde, accorde un repos parfait sur les ailes de la divine Présence aux âmes assassinées a Jedwabne qui sont parties vers leur repos éternel. Que leur repos soit dans le jardin d'Éden." Quand l'IPN, l'Institut de la Mémoire nationale, aura achevé son enquete, l'inscription sera peut-etre changée.

Cependant, l'enquete de l'IPN se poursuit. Pourtant, "nous en savons tant sur ce crime, mais toujours pas tout... Nous en savons suffisamment pour pouvoir nous tenir dans la vérité - a l'égard de la douleur, du cri et des souffrances de ceux qu'on a assassinés ici - devant les familles ici présentes des victimes... Les assassins avaient le sentiment de l'impunité, car les occupants les incitaient a des actes de ce genre. Nous savons avec certitude qu'il y avait des Polonais parmi les persécuteurs et les bourreaux. Nous ne pouvons avoir de doute...Des hommes ont préparé ce sort a des hommes, des voisins aux voisins" - a déclaré Aleksander Kwaśniewski.

Le Président pese chaque mot. En tant que citoyen et Président il s'excuse "en mon nom propre et au nom de ces Polonais dont la conscience est ébranlée par ce crime". Il demande le pardon aux ombres des morts et aux membres de leurs familles. Il termine en se référant a la priere des éveques polonais le 27 mai a Varsovie: "Pour toutes les aversions et les rancours nourries a l'égard du peuple juif, afin qu'ils reçoivent la grâce du changement des cours... Que vienne donc ce changement!" Et avec cette assurance: "Nous exprimons des paroles de chagrin et d'amertume... non parce que le monde nous écoute" - mais parce que "nous en avons le plus grand besoin nous-memes... pour changer le mal en bien".

La tribune est entourée de barrieres et d'un cordon de police. Les habitants de Jedwabne qui voulaient approcher davantage ont été retenus. Ensuite une partie d'entre eux sont entrés; les autres, découragés, sont repartis chez eux. Lorsque la marche funebre de Chopin sest tue, le maire, Krzysztof Godlewski, a salué les arrivants. Apres le Président, l'ambassadeur d'Israël en Pologne, Szewach Weiss, a pris la parole: "Moi, professeur Szewach Weiss, ambassadeur d'Israël en Pologne, j'ai eu l'occasion de renconrer d'autres voisins aussi dans ma vie. Grâce a eux, moi et ma famille avons survécu a l'Holocauste. Grâce a eux je puis maintenant me tenir devant vous. Dans ma vie j'ai aussi connu d'autres granges, dans lesquelles on cachait des Juifs (...) Je suis venu ici comme représentant de mon État, dans lequel vivent également des gens sauvés de l'extermination et qui ont survécu a la guerre grâce a leurs voisins polonais, des gens nobles et généreux (...) Il y a beaucoup de Polonais qui étudient cet événement bouleversant avec grande détermination et inspirés par un sentiment de justice historique. Je suis persuadé que, l'enquete achevée, une inscription comportant la vérité historique apparaîtra, si horrible qu'elle ait été, et ainsi, enfin, justice sera rendue aux victimes de ce crime. De ce lieu et a cette heure je m'adresse a tous les hommes honnetes et généreux a travers le monde et en Pologne, et en particulier a la jeune génération et aux habitants de Jedwabne: rassemblez vos forces et engagez un combat inlassable contre tous les symptômes d'antisémitisme, de racisme, de xénophobie, du mal et de la violence. Ainsi nous bâtirons ensemble un monde meilleur."

Ensuite Weiss prend la parole en hébreu. Il répete plus ou moins ce qu'il a dit en polonais, mais il développe avec insistance la trame de ce qu'est la Pologne pour les Juifs.

En cortege silencieux nous nous dirigeons vers le cimetiere: entouré de blocs de granit, un bloc de béton avec une matsévah de bois brulé. Des jeunes portant la kippa disposent un carton avec une photo de groupe et la liste des noms de 40 Juifs de Wizna toute proche, accompagnée d'une légende indiquant qu'ils ont été brulés vifs . Et aussi cette inscription: "Honneur aux Polonais qui ont secouru et sauvé". Un peu plus loin se trouve le vieux cimetiere juif: on l'a enclos d'un grillage le long duquel on a planté des buissons de roses sauvages. A l'entrée un obélisque clair en forme de matsévah portant cette inscription: "Cimetiere juif de Jedwabne. Fondé au XIXe siecle. Lieu de repos éternel des Juifs de Jedwabne et des environs. Tombes des Juifs assassinés le 10 juillet 1941 (15 Tammouz 5701). Honneur a leur mémoire." Ici nous prierons pour terminer.

La tribune de presse est pleine, les bancs pour les invités aussi sont combles. Difficile de les nommer tous: le Président, les familles des victimes, le ministre Bartoszewski, le chef du Bureau des Combattants Jacek Taylor, le secrétaire du Conseil de sauvegarde le la Mémoire des combats et du matyre Andrzej Przewoźnik, le président de l'IPN, l'Institut de la Mémoire nationale, Leon Kieres, les vice-présidents du Sénat, des hommes politiques (notamment Tadeusz Mazowiecki, Bronisław Geremek, Leszek Miller, Włodzimierz Cimoszewicz), le Porte-parole des Droits civiques Andrzej Zoll, le président de la Cour supreme Lech Gardocki, l'auteur du livre "Les Voisins" Jan Tomasz Gross, Janusz Głowacki, Sława Przybylska et autres. L'espace divisé en secteurs autour du mausolée est presque vide. On avait préparé des places pour cinq mille personnes, il en est venu mille cinq cents.

Le vieux rabbin Baker se tient devant les gens assemblés. Quelque part, venue d'un haut-parleur voisin,  une petite mélodie guillerette (pour agacer?) qui se tait rapidement. Le rabbin prononce quelques paroles en polonais, ensuite il passe a l'anglais. Le temps est couvert, froid, des ondées de pluie fine passent. Atmosphere tout a fait différente de celle de la Place du Marché: cette partie est religieuse, de priere. Baker parle longuement. Les souvenirs se melent a la réflexion théologique. Le rabbin parle du rabbi Hanino Ben Trabian, un martyr qui, condamné a périr sur le bucher voici deux mille ans, fut enveloppé dans sa Torah;  il eut encore le temps de dire a ses disciples que seul le parchemin brule, que les lettres tracées s'envolent et retombent ensuite sur terre la ou l'homme a été brulé. Une information concrete acheve la méditation: "Nous aurons besoin - dit le rabbin - d'héritiers spirituels de ces martyrs. C'est pourquoi nous envisageons de créer a Jérusalem une institution qui sera l'un des lieux les plus sacrés visités par les touristes du monde entier. La-bas nous aurons des descendants de Jedwabne venus de nombreuses villes de Pologne. Ils étudieront l'histoire et veilleront sur le legs de tous ces beaux noms de martyrs, et ils ne viendront pas en Pologne seulement en vacances mais ils enseigneront qu'il faut aider son prochain et ne pas hair. Il faut combattre la haine. C'est la leçon qui découle de cette admirable affaire pour notre pays et le monde entier." Et pour finir, la bénédiction: "Que le Pere Céleste bénisse tous ceux qui sont venus ici et tous ceux qui sont avec nous de cour et d'âme. Qu'ils gardent la santé, que tout aille bien pour eux et qu'ils trouvent la vraie paix. Amen."

Maintenant il n'y aura plus aucun discours. Le temps de la priere commence. Le rabbin de Varsovie et de Łódź, Michael Schudrich. C'est un maître de cérémonie discret. Il entonne le chant "Isgadal weiskadasz szemej". Que Son nom soit exalté et sanctifié. Que descendent du ciel paix durable et longue vie sur nous et sur tout Israël. Psaumes. Textes hébreux répétés en polonais: "Le Seigneur est mon berger", "Du fond de l'abîme je t'invoque, Seigneur". Le chantre new-yorkais Joseph Malovany - lui seul en vetement rituel - entonne un chant. Meme celui qui ne connaît pas l'hébreu comprend la plainte funebre qui passe par instant dans un dramatique sanglot (ensuite Jerzy Kichler  m'a expliqué que le kantor a chanté a trois reprises avec des intonations de plus en plus changeantes ce meme texte qui a vu le jour a l'époque des croisades, il comporte une priere pour les suppliciés ainsi qu'un appel a la vengeance divine). Les rabbins et les familles des gens assassinés s'approchent du mausolée: Qaddich. Ensuite, apportés de Jérusalem, ils disposent des cailloux et des bougies que le vent éteint. Des gerbes portées par des soldats: le Président, l'ambassadeur, le maire et celui qui conduit le Conseil municipal au nom de Jedwabne, Bartoszewski (comme président du Conseil de Sauvegarde de la Mémoire des combats et du martyre et président de l'association polonaise des Justes parmi les Nations du monde).

Apres le dépôt de gerbes, le Président quitte le rassemblement. Nous nous tenons devant la matsévah a l'entrée du vieux cimetiere juif : le rabbin Schudrich, l'éveque Zdzisław Tranda de l'         Église évangélique réformée, le pasteur Marek Izdebski de cette meme Église, l'éveque aumônier des armées Riszard Borski de l'Église évangélique d'Augsbourg, l'éveque Edward Puslecki de l'Église évangélique méthodiste en compagnie du pasteur Marian Santorski (curé de cette meme Église a Ełk), le Pere dominicain Willehad Paul Eckert (délégué a cette cérémonie du cardinal Lehmann, président de l'Épiscopat allemand) et le signataire de ces lignes. Le rabbin récite une priere en hébreu. Ensuite nous prions ensemble avec les paroles du psaume 16: "Je bénirai le Seigneur, mon conseiller; la nuit, meme mon cour m'exhorte... mon corps repose en sécurité... Tu ne livreras pas mon âme au séjour des morts."

Fin. Nous allons aux voitures. Quelqu'un me demande pourquoi l'Église catholique n'était pas représentée. Elle l'était - l'éveque Stanisław Gądecki, président de la Commission de l'Épiscopat pour le Dialogue avec le judaisme, m'avait demandé de prendre part a la priere au cimetiere. Parmi les participants j'ai remarqué le P. Wojciech Lemański; ensuite j'ai appris que le P. Edward Nowak s'y trouvait aussi avec une délégation de ses paroissiens. Quelqu'un demande pourquoi il n'y avait aucun éveque. Je réponds que je ne sais pas. Parce que je ne sais pas.

Nous passons par les petites rues désertes de Jedwabne. Pour les habitants ce n'était certainement pas un jour facile. Que la bénédiction implorée pour eux par le rabbin Baker abonde a profusion. Je ne sais pas si les retraites judicieuses qui préparaient les habitants a cette journée difficile ont eu lieu ici. Ce qu'ils éprouvent, je peux le deviner quand je lis qu'apres une aimable visite inattendue que lui a rendue le rabbin Baker, le P. Edward Orłowski, curé de Jedwabne, a fait savoir avec un net soulagement que son hôte ne l'avait pas interrogé sur son absence a la cérémonie.

Les célébrations austeres, de prieres, touchent a  leur fin. Ciel nuageux. Le 10 juillet 2010 change-t-il quelque chose? Il change les choses car l'imploration a Dieu venue des profondeurs émeut les cieux: "Israël, mets ton espoir dans le Seigneur. C'est lui qui rachetera Israël de toutes ses iniquités. Le Seigneur est mon berger: je ne manquerai de rien." Paix a toi Jedwabne, paix a nous tous.

Dziękujemy, że nas czytasz!

Wykupienie dostępu pozwoli Ci czytać artykuły wysokiej jakości i wspierać niezależne dziennikarstwo w wymagających dla wydawców czasach. Rośnij z nami! Pełna oferta →

Dostęp 10/10

  • 10 dni dostępu - poznaj nas
  • Natychmiastowy dostęp
  • Ogromne archiwum
  • Zapamiętaj i czytaj później
  • Autorskie newslettery premium
  • Także w formatach PDF, EPUB i MOBI
10,00 zł

Dostęp kwartalny

Kwartalny dostęp do TygodnikPowszechny.pl
  • Natychmiastowy dostęp
  • 92 dni dostępu = aż 13 numerów Tygodnika
  • Ogromne archiwum
  • Zapamiętaj i czytaj później
  • Autorskie newslettery premium
  • Także w formatach PDF, EPUB i MOBI
89,90 zł
© Wszelkie prawa w tym prawa autorów i wydawcy zastrzeżone. Jakiekolwiek dalsze rozpowszechnianie artykułów i innych części czasopisma bez zgody wydawcy zabronione [nota wydawnicza]. Jeśli na końcu artykułu znajduje się znak ℗, wówczas istnieje możliwość przedruku po zakupieniu licencji od Wydawcy [kontakt z Wydawcą]
Urodził się 25 lipca 1934 r. w Warszawie. Gdy miał osiemnaście lat, wstąpił do Zgromadzenia Księży Marianów. Po kilku latach otrzymał święcenia kapłańskie. Studiował filozofię na Katolickim Uniwersytecie Lubelskim. Pracował z młodzieżą – był katechetą… więcej

Artykuł pochodzi z numeru TP 13/2010

Artykuł pochodzi z dodatku „Żydownik Powszechny (Francais)